Une Certaine Fatigue by Christian Authier

Une Certaine Fatigue by Christian Authier

Auteur:Christian Authier [Authier, Christian]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


XII

Revenu parmi les vivants, j’étais devenu invivable. Cela tombait bien, je vivais seul. Prostré, irritable, silencieux. Le jour, j’étais neurasthénique. La nuit, dépressif. Parfois, les cycles s’inversaient sans lien apparent avec le rythme des saisons ni le changement d’heures imposé par l’exigence des économies d’énergie et du développement durable. Pour être honnête, je dois avouer que quelques éclaircies me traversaient lorsque j’écoutais sur mon iPod des ritournelles guimauves, comme Sailing de Christopher Cross ou Sara Smile d’Hall & Oates. Je nous imaginais, avec Marie, plus jeunes et plus beaux, courant au ralenti sur des plages californiennes désertes dans un soleil couchant d’été indien. J’étais pitoyable. D’où me venaient ces clichés de roman-photo ? Je n’avais pas « raté » ma vie au sens commun du terme, mais je ne m’étais pas montré à la hauteur de mes aspirations ni de mes attentes. Désormais, j’étais libre, prêt à recevoir les invitations du destin et à y répondre avec une disponibilité à laquelle peu de contemporains pouvaient prétendre. Plus de famille, plus de métier : je voyageais léger sans que cela suffise à me réconforter. Toutes ces vies que n’avions pas vécues avec Marie, il était trop tard pour les rattraper et même nos faits de gloire – nos deux enfants – n’y changeraient rien. Nous aurions pu faire mieux. Être un peu plus incandescents, artistes, magnifiques, inoubliables. Et merde.

J’avais toujours été terriblement sentimental. Ces frémissements venant du ventre, serrant ma gorge et piquant mes yeux : j’en avais fait des signes de reconnaissance, tout en n’en laissant rien paraître. Les sentiments me semblaient obscènes sans leur tenue de camouflage. Je les dissimulais si bien que l’on pouvait me prendre pour un indifférent, un bloc de glace ou un timide. Il y avait bien des souffrances, presque invisibles, que moi je percevais. Un mois environ avant que je n’apprenne ma mort prochaine, alors que je déjeunais à la terrasse du restaurant de Pierre où je me rendais au moins une fois par semaine, je vis s’arrêter un garçonnet d’une dizaine d’années. Il était près de quatorze heures et le gamin accompagné par sa grand-mère s’apprêtait à rejoindre l’école. Je l’avais aperçu plusieurs fois avec sa grand-mère, sa mère ou son père. Ces deux derniers avaient divorcé et le géniteur, gérant d’une boutique de téléphonie, portait sur son visage la fatuité du gros con, ce qu’un début de conversation avec l’énergumène suffisait à confirmer. Il incarnait le parvenu égoïste, vulgaire, mesurant son existence à la taille de sa voiture, au prix de sa montre et de ses vêtements – archétype du nouveau barbare que l’époque produisait. Ce jour-là, son fils s’arrêta devant le restaurant. Il attendait que Pierre sorte servir les clients en terrasse pour lui annoncer sa nouvelle ceinture en judo. Quand il le vit, Pierre l’embrassa ainsi que sa grand-mère et le gamin présenta dans un sourire modeste l’étendue de ses progrès. Pierre oublia ses clients pour consacrer quelques secondes à l’enfant, lui demander la hiérarchie entre les couleurs des ceintures,



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